Lapins créti(e)ns…

Une mutation discrète s’opère, dans les pratiques pascales des Français : d’après des chiffres récemment diffusés, la part des ventes de poules et d’œufs de Pâques en chocolat régresse d’année en année, au profit d’un nouveau bestiaire chocolaté où le Lapin de Pâques se taille la plus grande place !

Lièvre de Pâques en chocolat
Lièvre de Pâques en chocolat

Ce serait même désormais l’article le plus vendu, reléguant bien loin derrière lui des chocolats plus traditionnels, comme la désuète Cloche de Pâques.

Lapin Père Noël
Un audacieux “Lapin Père Noël”

Décidément, ce lapin s’invite dans plusieurs fêtes majeures, puisqu’il n’hésite pas à endosser aussi la Hotte et les bottes du Père Noël ! Y aurait-il « quelque chose qui cloche » (de Pâques…) ?

En réalité, la Bête à oreilles n’a rien d’illégitime dans le Mystère pascal. La Fête chrétienne de Pâques tombe peu ou prou aux alentours de l’équinoxe de printemps, pendant laquelle beaucoup de peuples anciens célébraient une déesse de l’amour et de la fécondité, elle-même souvent associée à l’image d’un lapin ou d’un lièvre. Le retour du printemps chaque année portait à fêter la (re)naissance de la nature et la germination des plantes, qu’évoque aussi la résurrection du Christ.

Les cultes de l’Ostara germanique ou de l’Eastre ou Eostre anglo-saxonne -divinités ayant donné leur nom à la fête de Pâques en anglais (Easter)- leur attribuaient le lièvre comme symbole, et elles sont elles-même des avatars d’autres déesses aux noms comparables, comme l’Astarté ou l’Ishtar proche-orientale.

Il est vrai qu’Astarté est une figure polyvalente ; plutôt belliqueuse pour les Sumériens, elle sera assimilée plus tard par les Gréco-romains à Aphrodite / Vénus, qui est une déesse de l’amour. L’animal totem reste pourtant le même : un lapin ou un lièvre. N’est-ce pas la réminiscence de cette origine guerrière qui porta un jour Lewis Caroll à recomposer argotiquement son étrange Lièvre de Mars ? Encore n’innovait-il pas vraiment, car on trouve dans des écrits anglais bien antérieurs un March Hare (en d’autres termes, le Lièvre d’Arès…), parèdre du Lièvre de Vénus. Quoi qu’il en soit, le lièvre-lapin reste bel et bien lié symboliquement à des cultes anciens que le christianisme tentera d’éradiquer, au point que sa capture par un chasseur était jadis une métaphore du paganisme vaincu.

Mais que diable allait-il faire dans cette garenne ?

Le chocolat pascal le plus vendu est aujourd’hui l’incontournable Lapin d’Or du fameux chocolatier Lindt. Qui a des oreilles (de lapin…) entende, cet intitulé interpelle l’Apprenti !

Le Lapin d'or, de Lindt
Le Lapin d’or, de Lindt

Le geste symbolique de ramasser un lapin -fût-il de chocolat- dans le jardin de Dame Nature n’a rien d’anodin : cela revient à « soulever un lièvre », autrement dit à mettre au jour une connaissance cachée. Car pour les alchimistes, Lièvre ou Lapin suggère l’intimité occulte de ces animaux avec les entrailles de la terre, qu’ils côtoient dans leurs terriers souterrains.

En latin, le lièvre est désigné Lepus (génitif : Leporis), dont dérive d’ailleurs un doublon français : lièvre, mais aussi lapin (avec moins de certitude pour ce second terme, d’autant que le lapin est désigné en latin sous le vocable de cuniculus). Jouant sur la consonance, les alchimistes ont discerné dans le Lièvre une évocation analogique de la matière brute, par le détour d’un jeu de mots avec la Lèpre, comme Fulcanelli le note à propos dans son Mystère des Cathédrales :

Un extrait du Mystère des Cathédrales, de Fulcanelli
Extrait du Mystère des Cathédrales

L’Adepte rappelle aussi, au même chapitre, que le « bec-de-lièvre » n’est pas qu’une infirmité physique, c’est aussi l’attribut qui permet de parler la Langue des oiseaux, ce qui n’a au fond rien d’étonnant, puisque le bec est au premier chef la bouche des volatiles.

Sur la ligne des crêtes …

Étant associés à la Fête de Pâques, les Lapins créti(e)ns sont-ils croyants ?
Et ont-ils des crêtes, ce qui les rapprocherait encore un peu plus des oiseaux ?

Sur le plan étymologie, ces questions restent posées, et l’origine du terme crétin n’y

Lapin crétin
Une beau spécimen de Lapin crétin

répond pas de manière catégorique. Certains -dont l’auguste Littré, mais après des hésitations- font en effet dériver cet adjectif de « chrétien », par le détour de patois franco-provençaux. D’autres le rattachent au terme germanique Kreide (la craie), parce que les crétins auraient en général la peau blanchâtre ; de fait, les Lapins crétins sont en général d’un blanc nacré qui ne concourt pas peu à leur aspect stupide, mais là encore, la foi chrétienne n’est pas bien loin, car au fond, il y a peu entre Kreide et Crédo ! Certains, enfin, considèrent que le crétin désigne un habitant des montagnes, donc des crêtes, sans pourtant que le rapport avec le crétinisme intellectuel soit bien établi…

Loin se s’égarer dans de telles arguties, l’Apprenti considérera surtout que les Lapins et les Lièvres à crête empruntent ce singulier attribut à d’autres animaux de la basse-cour, en l’occurrence des gallinacés comme le Coq (Gallus) et la Poule (un des principaux animaux chocolatés de Pâques, dont l’œuf est lui aussi un grand classique pascal) : Carmen Galli a déjà évoqué leurs affinités avec la Matière Première.

Une fois de plus, ces choses devaient être dites…

Il n’est pire sourd …

 

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