On dit qu’il habiterait en Finlande, en Laponie, au Pôle Nord… Mais décidément plein de ressources, le Père Noël dispose aussi d’une tombe en Turquie !
Le Père Noël est-il enterré à Demre, en Turquie ?
C’est en tout cas ce qu’a titré la presse relatant, photos à l’appui, la découverte en 2017 du vénérable caveau sous une église de l’actuelle ville turque de Demre (l’ancienne Myra), dans la province d’Antalya. Qu’importe : mort et enterré, ou trônant vivant au milieux de ses rennes et de ses lutins au Pôle Nord, le Père Noël n’en est pas à une manifestation paradoxale près ! (le polymorphisme et la mutabilité sont des attributs classiques de toute bonne entité astrale).
En fait, la tombe découverte serait plus (in)vraisemblablement celle du fameux Saint Nicolas, célèbre évêque du 4ème siècle ayant officié dans cette région et à qui la légende attribue un certain nombre de miracles, notamment la résurrection d’enfants, notamment de trois écoliers qu’à en croire Saint Bonaventure (Père de L’Église), un boucher sans scrupule avait découpé et mis au saloir pour les accommoder en pot-au-feu… (2ème « Sermo de S Nicolao » qui, soit dit en passant, mentionne deux étudiants de riches familles –duo scholares nobiles et divites– et non pas trois bambins comme l’imagerie populaire le relate généralement).
C’est du reste sous l’église Saint Nicolas que la tombe a été trouvée, mais en elle-même cette circonstance n’a rien de probant quant à l’identité du défunt, car cette église a sans doute servi de dernière demeure à bien d’autres personnages, comme ce fut la coutume funéraire pendant des siècles.
Saint Nicolas, Père Noël avant la lettre, ou selon les écritures ?
De son vivant, Saint Nicolas s’était déjà forgé une solide réputation de bienfaiteur pour sa générosité envers les nécessiteux. La légende dorée du saint rapporte aussi qu’il jetait des pièces d’or par la cheminée de chaumières dont le maître de maison n’avait pas de quoi doter ses filles à marier. Sous l’avatar du Père Noël, son tropisme pour les cheminées ne se démentira pas !
Selon la doxa officielle, Saint Nicolas serait un des principaux modèles ayant inspiré le mythe moderne du Père Noël, d’abord sur la base d’un récit de l’écrivain américain Washington Irving paru en 1809 (« Knickerbocker’s History of New York », publié sous le pseudonyme de Diedrich Knickerbocker), puis d’un poème de Clement Moore paru en 1823, illustré par Thomas Nast.
Le récit de Washington Irving se présente comme un recueil moralisateur d’anecdotes plus ou moins imaginaires sur les pionniers fondateurs de la Ville de New York, qui cultivaient semble-t-il une grande dévotion à Saint Nicolas, au point d’en avoir fait la proue de leur bateau. Plusieurs brefs passages font référence au saint dans sa fonction de dispensateur de cadeaux. L’auteur l’évoque notamment dans quelques lignes du chapitre IX, où apparaissent déjà plusieurs éléments fortement agrégés à l’imagerie traditionnelle du Père Noël, comme la cheminée ou l’accrochage, la veille au soir, d’un bas de laine (plus tard, une chaussure) que l’on trouvera miraculeusement remplie de cadeaux le lendemain matin :
« Très tôt fut instituée cette pieuse cérémonie, toujours observée dans toutes nos anciennes bonnes familles, consistant à suspendre un bas dans la cheminée la veille de la Saint-Nicolas ; ce bas se trouve toujours le matin miraculeusement rempli, car le bon Saint-Nicolas a toujours été un grand donateur de cadeaux, en particulier aux enfants »
At this early period was instituted that pious ceremony, still religiouslyobserved in all our ancient families of the right breed, of hanging up astocking in the chimney on St. Nicholas Eve; which stocking is alwaysfound in the morning miraculously filled; for the good St. Nicholas hasever been a great giver of gifts, particularly to children. Ref.
Le poème de Clement Moore est plus explicite. Il est connu sous plusieurs intitulés (« A Visit from St. Nicholas », « The Night Before Christmas » ou « Twas the Night Before Christmas »), et raconte en substance qu’une nuit la veille de Noël, alors que sa femme et ses enfants dorment, un père de famille se réveille et regarde dehors par la fenêtre. Il voit alors personnage –en qui il reconnaît immédiatement Saint Nicolas– voguant en l’air dans un traîneau tiré par huit rennes. Après avoir posé son traîneau sur le toit, le saint entre dans la maison par la cheminée, portant un gros sac de jouets. Le père voit le saint remplir les bas de Noël de ses enfants, suspendus au coin du feu. Les deux hommes partagent ensuite un petit moment de convivialité avant que le saint reparte par la cheminée. Alors qu’il s’envole, le saint lance un « joyeux Noël et une bonne nuit à tous ». Ref.
Ce poème livre quelques détails supplémentaires intéressants, comme le nom des huit rennes formant l’attelage de Saint Nicolas (par ordre de citation : Dasher, Dancer, Prancer, Vixen, Comet, Cupid, Donder et Blitzen), ou encore l’aspect sous lequel le saint apparaît au père de famille : un « bon vieil elfe grassouillet et dodu ». Surtout, il confirme incidemment que la tradition d’accrocher des bas à la cheminée en attendant le passage de Saint Nicolas était déjà bien établie lors de la parution du poème, comme l’indiquent ces deux vers :
« The stockings were hung by the chimney with care / In hopes that St. Nicholas soon would be there » (les bas avaient été pendus avec soin à la cheminée, en espérant que Saint Nicolas serait bientôt là).
Cela étant, ni le récit d’Irving, ni le poème de Moore ne fondent le mythe du Père Noël, dispensateur de cadeaux : tout au contraire, ils ne font qu’attribuer à Saint Nicolas cette fonction déjà assumée depuis bien longtemps par plusieurs autres entités dans différents folklores et récits populaires de la vieille Europe, en particulier en Angleterre (où on signale un Father Christmas dès le 15ème siècle), dans les légendes germaniques ou dans des récits scandinaves. Le Père Noël est assimilé à « Santa Claus » dans maintes traditions, l’imagerie générale des deux personnages présentant plusieurs traits communs : aspect âgé, costume rouge à bordures blanches, longue barbe blanche, bonnet (ou mitre, selon le cas), …
Dans le calendrier liturgique chrétien, Saint Nicolas est fêté le 6 décembre, donc un peu plus tôt que le Père Noël lui-même, mais ces deux représentations sont liées à la période solsticiale d’hiver et aux festivités ancestrales célébrant le retour de la lumière et la renaissance du soleil.
A ce titre, Saint Nicolas est-il l’ancêtre du Père Noël, ou plutôt une de ses nombreuses manifestations ? Question classique mais sans réponse de la poule et de l’œuf, itérative dans la généalogie des entités astrales…
Saint Nicolas trahi par des dénonciateurs anonymes …
Le lien de filiation entre Saint Nicolas et le Père Noël, tel qu’il a été divulgué par Washington Irving puis par Clement Moore, était-il si scandaleux pour qu’à l’époque, ces deux auteurs américains aient préféré se retrancher derrière l’anonymat pour en faire état ? Leur récit livrerait-il quelque clé occulte qui leur imposait, sinon le silence, tout au moins la prudence ? Cette question n’a encore jamais été posée dans la très abondante littérature consacrée à la naissance du Père Noêl…
Les circonstances de la publication de l’ouvrage d’Irving n’ont pourtant rien d’anodin, puisque l’éditeur a prétendu qu’il s’agissait d’un recueil de « nombreux détails curieux et intéressants, jamais publiés auparavant, et qui proviennent de divers manuscrits et autres sources authentifiées, le tout étant parsemé de spéculations philosophiques et de préceptes moraux », retrouvés dans la chambre d’un vieux monsieur, un certain Diedrich Knickerbocker, qui aurait soudainement disparu… la publication de ses papiers étant censée payer les dettes qu’il aurait laissées avant de disparaître ! Le messager disparu, le message peut donc prospérer.
Diedrich Knickerbocker : This work was found in the chamber of Mr. Diedrich Knickerbocker, the old gentleman whose sudden and mysterious disappearance has been noticed. It is published in order to discharge certain debts he has left behind Ref.
Même discrétion chez Moore, dont le prétendu poème a été publié la première fois de manière anonyme dans le Troy, New York Sentinel du 23 décembre 1823, et a été réimprimé par la suite à plusieurs reprises sans mention d’auteur. Le poème n’a été attribué à Moore qu’en 1837, et si cet auteur en a finalement admis la paternité en 1844 (soit 21 ans après la première parution), plusieurs autres écrivains l’avaient revendiqué entre-temps ; sur la base d’indices très sérieux, plusieurs spécialistes l’attribuent d’ailleurs à un autre poète, Henry Livingston Junior (1748-1828), qui avait coutume de publier ses poèmes sans mention d’auteur, et dont les enfants ont confirmé l’avoir entendu de la bouche de leur père dès 1807.
La tombe, un vrai cadeau du Père Noël !
Père Noël ou Saint Nicolas, une confirmation officielle de la découverte turque serait un présent du ciel pour le tourisme à Demre, ville qui s’honorait déjà d’un « St Nicholas Museum » (en fait, l’ancienne église Saint Nicolas), rebaptisé « Musée du Père Noël ».
Même si l’authenticité de cette tombe est à prendre avec des pincettes, comme l’a déclaré au National Geographic Carol Meyers, la fondatrice et dubitative animatrice du site Internet stnicholascenter.org : « Si des reliques sont trouvées, elles devraient être datées et examinées par des experts internationaux. Les Turcs sont bien sûr très intéressés par la promotion du tourisme ». Les chercheurs eux-mêmes ont reconnu que la découverte pouvait avoir des retombées très positives sur le tourisme de la région.
La nouvelle a également provoqué un certain émoi à Bari, ville italienne qui revendique elle aussi la tombe de Saint Nicolas ou, plus précisément, le caveau où sa dépouille aurait été transférée par des marchands ou des marins italiens en 1087, dans la Basilique Saint-Nicolas. Mais cette attribution est elle-même contestée, car à en croire une chronique publiée en 2012, les restes du saint auraient été transférés en Irlande, près de l’abbaye de Jerpoint dans le Comté de Kilkenny, soit par des croisés, soit -selon une autre version- par un certain Nicholas De Frainet, descendant d’une vieille famille française de chevaliers, qui possédaient des terres dans la région.
Là encore, il y a des intérêts touristiques en jeu, car comme le rapporte sans ambage le chroniqueur, ce tombeau « est l’un des principaux trésors du pays […] Cette région a cruellement besoin d’un coup de pouce touristique et d’un peu d’argent. La réponse est là […] ».
Sans oublier d’autres restes de l’évêque (des « reliques », selon la terminologie religieuse) qui reposeraient dans l’église San Nicolo de Venise mais s’agit-il du même saint, ou d’un homonyme ?), et dans différentes églises en Autriche, en Belgique, en Bulgarie, au Danemark, en France, en Russie et dans bien d’autres pays d’Europe, ainsi qu’aux États-Unis et même au Canada : de quoi conférer à cet antique prélat une large présence géographique et astrale dans tout le monde chrétien. Diviser pour mieux régner, telle pourrait être la devise des reliques épiscopales !
En définitive, la médecine légale ou mieux, des analyses d’ADN, seraient les mieux aptes à établir la filiation et les circonstances du décès de Saint Nicolas et de son fils putatif, le Père Noël …
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