Dialogue de SOURDS…

Le Sour, entre mystérieux animal et légende des campagnes françaises… Un cryptide réputé malfaisant, une énigme cryptozoologique à résoudre.

Représentation d'un SOUR d'après ses descriptions les plus communes
Le SOUR, un cryptide ressemblant à une ” saucisse de sang “

1. Premier courrier…

« Cher P…,
« […] depuis des années, je m’intéresse à la cryptozoologie […] et dans ce cadre, je tente de rassembler des informations fiables sur un animal (si c’en est un) plus ou moins mythique dont notre mère parlait de temps en temps, mais dont je n’arrive pas à trouver d’autre traces, en l’occurrence le SOUR. Je l’orthographie comme cela, mais ce pourrait aussi bien être SOURD, SOURS, SOURRE, ÇOUR, etc… Bref, n’ayant pas de référence écrite, j’ai opté pour l’orthographe la plus simple et la plus phonétique (« faunétique » …).
« Notre mère disait qu’elle en voyait parfois quand elle était enfant dans la Mayenne, dans les années 1930. À chaque fois cela produisait beaucoup d’émoi et d’inquiétude chez sa nourrice et dans tout son entourage. C’était, d’après elle, une sorte d’énorme chenille marron, inerte, maléfique, un peu « obscène » (elle était trop prude pour dire que ça devait lui suggérer la forme d’une bite). L’animal se tapissait immobile, de préférence dans des lieux humiques et sombres, en particulier sous les noyers. Sa nourrice, sa grand-mère et ses oncles disaient que le SOUR portait malheur, qu’il provoquait des maladies, qu’il fallait à tout prix s’en éloigner, bref, un animal à coup sûr pas fréquentable. Quand notre mère en reparlait bien des années plus tard, dans les années 1970, elle semblait encore un peu gênée, comme mal à l’aise.
« Une fois ou deux, notre grand-mère aussi a dit des choses. Sa description n’était pas minutieuse, mais elle évoquait aussi à peu près le même profil général. Elle, en revanche, semblait plus dégoûtée qu’effrayée. Mais une chose est certaine, en dépit de quelques variantes, la mère et la fille parlaient bien de la même chose, et l’identifiaient sous le même nom.
« Il y a deux détails supplémentaires importants.
« Premier détail : notre mère était bien consciente que sa description des SOUR avait l’air assez imaginaire, et notre père la titillait sur le thème des « histoires de veillée »… Mais elle ne se laissait pas déstabiliser !

George Sand
George Sand, bien informée des croyances rurales, mentionnerait l’existence du SOUR dans une de ses oeuvres… Une allégation plausible, mais à confirmer

Plus d’une fois, elle lui a rétorqué, pour appuyer ses dires, que George Sand avait parlé des SOUR dans son œuvre. Il est vrai que dans sa jeunesse, notre mère avait été une grande lectrice de George Sand. Elle citait souvent La Mare au diable, La Petite Fadette et autres nouvelles du même tonneau. Pour tenter de vérifier cet indice, j’ai lu ou relu une grosse partie des œuvres complètes de George Sand (une vraie purge pour moi, qui n’apprécie pas ce genre de littérature), notamment toutes ses nouvelles sur les légendes rurales… En vain ! Donc, soit elle se trompait d’auteur, soit elle a imaginé ce détail littéraire, soit je n’ai pas lu le bon ouvrage, difficile d’être conclusif…
« Second indice : une année, nous sommes allés en vacances dans le Poitou, vers Bessines-sur-Gartempe, chez un brave paysan, matois mais brut de décoffrage, qui s’appelait M. A… C’était en 1965, à deux ou trois ans près au maximum. Bref, un jour, au détour de je ne sais quelle conversation, notre mère a évoqué le SOUR avec ce paysan, et il a immédiatement vu de quoi elle parlait. Il en a donné une description imagée, qui correspondait à peu de chose près à celle de notre mère. Il disait que c’était exactement comme une « saucisse de sang » (en d’autres termes, un boudin, ce qui confirme à peu près la couleur et la taille), légèrement duveteux (donc un peu comme une chenille, mais à taille puissance 10 !), que ça se tapissait dans les lieux humides, et surtout sous les feuilles des pommes-de-terre (par contre, pour les noyers, il était moins catégorique). Il a aussi donné le nom de l’animal dans son patois, c’était un autre nom que SOUR, mais ils parlaient bien tous les deux de la même chose, et l’un comme l’autre excluaient qu’il se fût agi d’une banale chenille. Tous les deux disaient aussi que c’était peu commun comme bestiole, et lui a ajouté qu’on n’en voyait quasiment plus jamais.
« Voilà à peu près tous les éléments dont je dispose, pour tenter d’identifier ce truc. Est-ce que cela te dit quelque-chose, et aurais-tu gardé en tête quelques données supplémentaires qui pourraient me faire progresser dans cette recherche ?
« D’avance merci de ta réponse, et à bientôt,
« M… »

2. Réponse

« Ah, le sourd… C’était Bethines (86310), et non Bessines. J’ai beaucoup lu moi aussi George Sand, mais sans jamais y trouver de mention du sourd. En revanche je l’ai découvert dans ” Contes populaires et légendes du Berry et de la Sologne ” dans la collection ” Richesse du Folklore de France ” aux éditions de la Renaissance. Au chapitre la Cocadrille, on y parle du Tac ou Môron, espèce de salamandre malfaisante, et je lis ceci : ” notre Tac n’est pas moins décrié que le Mirtil du Poitou, la Blande de la Provence, la Plavine du Dauphiné, la Laberne du Lyonnais, le Mouron de la Normandie, ou le Sourd de la Bretagne “.
« Voilà, c’est tout ce que j’ai à t’offrir … Mais tous les vieux paysans de la Mayenne ou de la Sarthe t’en parleront à loisir […]
P… »

3. Courrier complémentaire

« Cher P…,
« Merci beaucoup, ces informations vont m’être vraiment précieuses pour la suite de mes recherches. Je suis content de constater que je n’ai pas rêvé, et que notre mère non plus ne rêvait pas, puisque si ça n’est pas George Sand, au moins d’autre(s) auteur(s) véhicule(nt) le même récit. En outre, l’apparentement du Sourd -puisque apparemment ça s’écrit avec un d final- avec d’autres bestioles un peu mythiques dans le folklore d’autres régions va me permettre d’en préciser le « profil » cryptozoologique.
« Par contre, je reste très dubitatif sur l’assimilation du Sourd à une salamandre. La salamandre était une bête relativement commune jadis, même si aujourd’hui elle est en voie de quasi-disparition à cause de la pollution et de l’urbanisation. J’en ai personnellement vu deux fois dans ma vie, c’est un batracien superbe et plutôt sympathique. Du reste, les anciens connaissaient bien les différentes espèces de salamandre, et si le Sourd avait été l’une d’entre elle, ils auraient mieux su le décrire.
« Notre mère elle-même s’y serait-elle trompée ? Je me souviens qu’elle était férue de l’histoire des Rois de France, surtout celle des Valois : la salamandre était l’emblème archi‑connu de François 1er, impossible qu’elle n’ait pas fait le rapprochement, même si la salamandre héraldique est un peu différente de la salamandre des naturalistes !
« Pour ma part, l’hypothèse d’une « chenille » semble plus consistante. Il en existe dans certains pays d’énormes spécimens, je pense en particulier à la larve du dynaste géant (Dynaste Hercule), dont on trouve maintes photographies sur Internet.

Le Sourd, une énorme chenille ?
Le Sourd, une énorme chenille ?

« Une telle larve ferait une bien meilleure prétendante au titre de SOURD que la salamandre : elle est immobile, elle est assez répugnante, elle est brunâtre (il en existe sans doute de différentes couleurs), peut-être une variété duveteuse… est-ce que ce genre d’animal n’aurait pas pu exister en France, même de manière très épisodique ? En tous cas, c’est un candidat sérieux au titre peu envié de Sourd !« Bref, il reste un gros champ d’investigations à explorer sur ce sujet […].
« M… »

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